vendredi 24 août 2012

Mais qui est qui ?

Il n'est pas seul. Ils sont deux. Alors ils discutent.
Parfois la discussion s'enflamme un peu. Lui est plus raisonnable que l'autre. Plus posé. Plus mesuré.

Si cela ne tenait qu'à l'autre, ils seraient toujours en vadrouille. Toujours à parler avec les gens. Ils s'amuseraient à crier dans la rue pour faire peur, ou rire. Si cela ne tenait qu'à l'autre, ils seraient dehors. Avec les gens qui passent, mais qu'ils ne connaissent pas. Ils seraient là, à faire tout se qu'il leur passerait par la tête.
Ils partiraient le matin, de bonne heure. Ils partiraient avec petit panier en simili osier dans lequel ils mettraient un morceau de pain, du fromage et une canette de Seven Up. Il adore le Seven Up.
Le panier pique-nique, c'est toujours lui qui le prépare. C'est son rôle.
L'autre n'y pense même pas. En revanche, s'il n'y a rien à manger. L'autre hurle, se fâche. Devient violent. C'est pour cela qu'il essaie d'y penser maintenant. Mais ce n'est pas toujours facile.

Si cela ne tenait qu'à lui seul, tout serait plus tranquille. Car lui ne part jamais sans demander. Il ne part pas, parce qu'on lui a dit au début, qu'il ne fallait pas partir. Il ne part pas parce qu'il n'est pas du tout habillé pour sortir.
Si cela ne tenait qu'à lui, ils ne sortiraient pas du tout. Il aime tellement rester. C'est très rassurant de faire les mêmes choses. Chaque jour. De se poser calmement dans des habitudes comme on se glisse dans de moelleux chaussons d’hiver.
L'autre n'aime pas. Il n'aime pas les autres qui restent non plus. Ils sont tous plus muets et prévisibles les uns que les autres. Pas comme les gens qu'on ne connaît pas.

Mais lui préfère rester là et parler avec l'autre.

Ce matin, c'est l'autre qui a eu le dernier mot.
Il est dans un parc, avec l'autre. Il préfère les parcs aux couloirs sombres du métro.
Les passants le regardent d'un air étonné. À qui parle-t-il assis sur sa chaise ? Seul ? En pyjama ?
Lui s'étonne des passants intrigués. Que me veulent-ils ceux-là à me dévisager bizarrement ? Est-ce l'autre qu'ils n'aiment pas ? Moi généralement on ne me regarde pas ainsi.

Et l'infirmier arrive. Las, mais ferme. Il arrive pour raccompagner, une fois de plus, monsieur Germain dans le service psychiatrique de l'hôpital de la ville.
Car depuis quelques années, monsieur Germain n'est pas seul. Il n'est pas seul dans sa tête. Ils sont deux. Deux qui se parlent souvent un peu trop.

2 commentaires:

Bruno a dit…

Très bien cette histoire, en revanche, je pense que tu aurai pu lui donner une dimension supplémentaire en annonçant pas la chute dès le début. Ça préserve le suspens...
Tu retravailles un poil la fin, et voilà, tu fais un truc qui ressemble à "Geri's game", un court métrage de Pixar, dont tu trouvera une très belle adaptation ici : http://www.youtube.com/watch?v=2lmn_WgdK6E

Françoise a dit…

@ Bruno : tu as tout à fait raison. J'étais partie pour faire cela d'ailleurs. Mais je suis aussi partie de cette phrase notée un jour dans mon carnet : il n'est pas seul dans sa tête. Ils sont deux. Alors ils discutent. Que j'ai laissée.
Et puis, j'ai eu envie de dévoiler la folie à la fin. Mais effectivement, changer le début, c'est mieux.


J'adore ton joueur d'echec ! C'est drôle car Papa jouait souvent tout seul aux échecs. Et je me suis toujours demandée comment il pouvait faire. Qui laissait il gagner ? Qui gagnait quoi ?.... Voilà qui répond, en partie, à mes questions !!